Deux ans

Publié le 5 Janvier 2017

Ça va bientôt faire deux ans et je m’en souviens comme si c’était hier.
 
Je me souviens qu’on était entre amis autour d’une table, au premier étage à la fac. Bertrand lisait les nouvelles du jour sur son téléphone et a soudain dit « Punaise… il y a une fusillade en ce moment même à Charlie Hebdo ».
Franchement, sur le coup, je n’ai pas compris, j’ai pensé que ce n’était peut-être pas grave. J’ai pensé que ça devait être un règlement de compte à propos de deal de drogue, comme à Marseille. Ça paraît idiot, mais je n’ai pas tilté sur le nom du journal, je n’ai pas pensé que c’était à Paris… et pour être honnête, je n’ai même pas pensé qu’il pouvait y avoir des morts. Je crois qu’au bout de quelques minutes de discussion j’ai demandé à Bertrand s’il y en avait et qu’il a répondu « On ne sait pas pour l’instant ». Je me souviens juste m’être dit que si, ça pouvait être grave, mais je crois que j’ai vite oublié l’information.
 
Je ne sais plus quand j’ai compris la gravité des faits, quand j’ai appris qu’une équipe de journalistes avait été abattue par des terroristes. Je me souviens plutôt de l’angoisse en apprenant, deux jours plus tard, qu’il y avait une prise d’otages dans un Hyper Cacher de Paris. Cette fois-là, j’étais rentrée chez mes parents et on regardait les images sur BFMTV ; on regardait le GIGN en intervention, qui se préparait à entrer dans le lieu. Les journalistes essayaient de filmer, les policiers leur disaient de reculer.
Sur le moment, je me suis demandé si ce n’était pas un peu gerbant, ce qu’on faisait : « on », c’est-à-dire les journalistes qui tentaient à tout prix de filmer la scène, et « on », moi et ma famille, qui la regardions. On a besoin de savoir ce qui se passe dans l’actualité, surtout quand c’est grave, mais a-t-on vraiment besoin des images qui vont avec ? Est-ce respectueux pour les otages ? Je ne crois pas. Surtout quand l’une d’elle, furieuse, déclare que BFMTV était aussi allumé dans l’Hyper Cacher, que la chaîne montrait l’intervention en préparation, et que si le terroriste avait eu l’idée de regarder la télévision, tous les otages auraient sûrement été tués.
 
Je n’étais pas à Paris le 7 janvier, ni le 9 janvier, ni le 13 novembre en 2015, pas plus qu’à Nice le 14 juillet 2016. Je n’étais pas non plus à Orlando, à Berlin. Pourtant le choc je l’ai ressenti, et je sais que je ne suis pas la seule en tant que personne « lointaine ».
Je crois que le 7 janvier 2015, j’ai pensé que l’attentat à Charlie Hebdo était un « acte isolé », un peu comme les tueries de Mohamed Merah en 2012. Le 9 janvier, après la libération des otages de l’Hyper Cacher, je me suis demandé si c’était vraiment la fin. Si ça n’allait pas recommencer. Je crois que les journaux posaient la même question à des spécialistes.
 
Je ne sais plus très bien à partir de quand j’ai senti les choses changer. Peut-être lorsque l’état d’urgence a été instauré ; mais très franchement, je ne pourrais même plus dire quand il l’a été. J’ai des souvenirs précis et des souvenirs flous, et parfois pas de souvenirs du tout.
Ces dernières années je sens beaucoup les choses changer, et je crois que c’est pareil pour un certain nombre de jeunes de ma génération, et un certain nombre de personnes des autres générations.
 
Ces derniers mois, il y a eu l’attentat de Nice, la fin annoncée de Daech (mais certains disent qu’avec eux, on en a encore pour vingt ans), le Brexit, l’élection de Trump, l’élection d’un écologiste au pouvoir et non de l’extrême droite en Autriche. Dans les mois prochains, honnêtement je ne sais pas ce qui va se passer pour les autres pays, mais en France, il y aura les présidentielles. Et c’est devenu effrayant. Le passé est terrifiant, le futur l’est tout autant.
 
C’est bizarre pour une étudiante en Histoire de sentir les changements, de les voir, et de comprendre qu’ils vont bientôt entrer dans les manuels scolaires. C’est bizarre de sentir que l’Histoire, on y assiste à chaque évènement susceptible de modifier d’une manière ou d’une autre « l’ordre » du monde. Comme si avant ce monde était figé. Je dois être en train de grandir ou de mûrir ou de vieillir.
 
« 11 septembre
Anniversaire mondial des deux avions dans les tours. Cinq ans. C'est quand même étrange. On dirait l'anniversaire d'un enfant qui serait la guerre. Il est né et maintenant il grandit. La guerre sait déjà marcher et parler. Elle se débrouille bien. Bientôt la guerre va entrer au CP. On se demande à quoi elle ressemblera quand elle sera grande. Ça fout les jetons, c'est tout ce que j'ai à dire, de vieillir pendant que la guerre grandit. » Toujours fâchée, le journal d'Aurore 2, Marie Desplechin, 2007
 
En fait je voulais surtout écrire que ça fait deux ans. Ici, ça fait deux ans. Dans certains pays, ça fait beaucoup plus longtemps…
 

Rédigé par Cheschire

Publié dans #Deuil, #Actualités, #Souvenirs

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